Il y a quelques mois un grand homme politique nous a quitté. Il fut le député de notre circonscription mais combien d’entre nous s’en souviennent encore ?
Par deux fois déjà Michel Rocard s’était présenté contre Pierre Clostermann – sans succès – à des élections législatives dans la 4ème circonscription des Yvelines. Arrivé en deuxième position de la Gauche il se désistait sans hésiter pour le candidat communiste des Clayes-sous-Bois au deuxième tour.
Nous étions à la fin de l’année 1969. Michel Rocard était à la tête du Parti socialiste unifié et avait accepté, à la demande de la fédération des Yvelines du PSU, d’être candidat à l’élection partielle de la 4ème circonscription des Yvelines, à laquelle appartenait Louveciennes, après la démission de Pierre Clostermann. La droite alors présentait Monsieur Couve de Murville, premier ministre sortant. Le PSU et la gauche yvelinoise n’avaient pas de député à l’Assemblée Nationale et nous savions que Michel Rocard pouvait y défendre fort honorablement ses idées. Bien que sans moyens financiers importants, sans local, une vieille Ronéo pour tout outil, une cave déguisée en bureau de campagne et notre maison de Louveciennes mise à sa disposition, nous avons autour de lui fait une campagne enthousiaste, parfois dure car déjà notre département recelait des groupes extrémistes prêts à en découdre. Michel Rocard a toujours refusé cette brutalité et tenait à imprégner cette élection des règles de courtoisie et de respect des autres qui furent toujours siennes dans sa vie politique, à l’égard de tous y compris de ses adversaires. Il ne ménageait pas sa peine : marchés, réunions publiques, distribution de tracts, réunions d’appartements…
Louveciennes, Bougival, La Celle Saint-Cloud, Le Chesnay, Rennemoulin, Les Clayes-sous-Bois, Villepreux, Feucherolles, Noisy-le-Roi, Chavenay… aucune commune n’échappât à la présence du candidat. Les collages des affiches étaient délicats car souvent dangereux. Heureusement nos voitures dégoulinantes de colle ne craignaient pas grand-chose, mais elles furent plus d’une fois prises pour cible. Cette campagne gagnante scella définitivement entre lui et les Yvelinois une indestructible complicité et amitié qui perdurera pendant toute son activité politique puisqu’il vécut dans plusieurs communes du département et y finit sa vie.
Les électeurs, avec finesse et raison, savaient que ce candidat n’était pas comme les autres. Ils appréciaient son intelligence, sa force de conviction, sa capacité d’écoute jamais agacée mais toujours vigilante, sa passion pour le débat, sa courtoisie innée et son indéfectible sens du dialogue.
Ses propositions très novatrices (rappelez-vous le concept d’autogestion) n’étaient cependant pas faciles à expliquer mais elles faisaient vibrer et donnaient une vision à long terme de la société qu’il souhaitait. À la fin d’une réunion tout le monde était plus riche de compréhension et se sentait totalement investi dans ce projet et pour certains l’enthousiasme était de mise.
Il remportât un véritable succès et fut élu à l’automne 1969. Enfin ses idées, partagées par trop peu d’entre nous, allaient pouvoir trouver une résonance nationale au travers de ses interventions à la tribune de l’Assemblée Nationale. Il n’y avait pas pour lui de petites causes à défendre mais que de mauvais prétextes pour ne pas le faire. Lors de son mandat les dossiers n’ont pas manqués, toujours traités avec rigueur.
Pendant plusieurs années il aimait venir avec sa famille flâner à Louveciennes où tous les mois de septembre au moment de la fête des fleurs, nous nous retrouvions plus d’une centaine d’amis autour d’un méchoui. Ce sont encore pour beaucoup d‘entre nous le souvenir de moments magnifiques où les « grands » discutaient et les enfants joyeux montaient à la fête. La population qui le rencontrait était toujours étonnée de voir un homme comme tout le monde.
Depuis 1969 il a toujours été attentif à nos activités. Il savait que les militants menaient un dur combat dans cette commune de Louveciennes ou la gauche a toujours été minoritaire et nous félicitait pour notre courage car il savait que se battre pour des idées est enthousiasmant mais que l’échec continuel n’est jamais réconfortant. Pourtant rien ne nous a découragés et son soutien nous a toujours été acquis. À chaque élection il n’oubliait jamais de traduire sa présence et son souvenir au travers d’écrits encourageants et chaleureux.
Michel Rocard est resté d’une indéfectible fidélité à ce département pour lequel il s’est souvent battu avec force. Devenu maire de Conflans-Sainte-Honorine en 1977, aucun secteur de l’action municipale ne lui échappait : économie, santé, culture, personnes âgées, écoles, batellerie, industrie automobile, routes, sécurité, habitat, aménagement du territoire… Dans le dialogue continuel si cher à Michel Rocard cette ville a évolué autour d’une équipe dynamisée par un maire généreux, compétent et inventif.
Sa ville était un laboratoire où toutes ses idées étaient mises en pratique. Il y était heureux. Il a toujours dit que c’était son plus beau mandat.
Le Parti socialiste des Yvelines a largement bénéficié de cette présence. C’était un temps où l’équilibre démocratique de notre département était reconnu et en faisait à la fois son honneur et sa raison.
Enfin, Michel Rocard n’était pas l’homme à se précipiter à chaque action réussie. Il aimait travailler dans la discrétion et traitait les dossiers avec le souci du respect de l’administration, estimant avec raison que toute publicité préalable tapageuse nuisait à la réussite des dossiers, souvent difficiles à traiter.
C’est aussi dans cette droite ligne de ses engagements qu’il aimait à favoriser l’accession des femmes à des postes de responsabilité. C’est ainsi que j’ai accédé à la députation parce que Michel Rocard souhaitait que je sois sa suppléante et qu’il était prêt à retirer sa candidature s’il n’en était pas ainsi. Qu’il en soit infiniment remercié.
Une dernière pensée sera pour rappeler l’un des plus tristes moments de la bataille politique sur ce département. C’est la mort de Pascal Brocard, ce jeune militant CFDT tué par l’extrême droite départementale à Croissy-sur-Seine en 1986 lors d’un collage de panneaux d’affichage pour une campagne électorale. Je sais que Michel Rocard en avait été très marqué et je sais aussi qu’il venait régulièrement se recueillir discrètement sur sa stèle.
C’était aussi cette discrétion qui faisait toute la valeur humaine de cet homme. Qu’il est triste de l’avoir vu disparaître. Les Yvelines auront beaucoup à y perdre mais hélas il sera trop tard pour le regretter.
Martine et Daniel FRACHON